Article France Soir : Plus de 80 enfants adoptés abandonnés chaque année...
Nicole Korchia
Les chiffres sont secrets et tabous en France : officiellement 2 % des adoptions
sont vouées à l’échec en France. Mais officieusement, les spécialistes parlent
carrément d’un cas sur dix… Notre enquête.
Un terrible constat…
Les échecs de l’adoption, on en parle peu. Pourtant, même en France, des
histoires déchirantes d’enfants adoptés remis aux institutions, puis renvoyés
dans leurs pays sont fréquentes et bien réelles. Sujet tabou, polémique, aucune
statistique officielle n’est mise en avant. Le dossier de l’adoption est trop
sensible et le constat de l’échec enfoui sous les centaines de demandes en
attente. Si des chiffres de 2 à 3 % d’échec circulent, c’est déjà énorme, car
cela signifie que sur environ 4.000 enfants adoptés par an, plus de 80 sont
abandonnés chaque année, rendus comme un simple appareil qui ne fonctionne pas !
Qu’advient-il ensuite de ces petits rejetés coup sur coup, par leur famille
biologique puis adoptive ? Comment pourront-ils se reconstruire ? Et comment
expliquer qu’après tant de démarches et d’attente, des parents adoptifs se
révèlent incapables de garder cet enfant tant rêvé ?
Pourquoi ces échecs ?
« Dans le cadre de l’adoption, explique-t-on à l’AFA (Agence française de
l’adoption), il y a très souvent l’enfant rêvé et l’enfant réel. Et les deux ne
se rejoignent pas toujours. L’adoption est vraiment une greffe qui prend ou qui
ne prend pas. » En effet souvent les parents vont bien au-delà de leur projet
initial en se disant qu’ils pourront assumer un enfant plus grand, avec un passé
psychologique chargé ou un problème physique voire pathologique… Mais au fil des
mois, les choses se compliquent… Le docteur Geneviève André-Trevennec,
directrice de Médecins du monde, explique : « Il faut faire prendre conscience
aux parents de la responsabilité qu’ils ont eue dans leur démarche d’adoption.
Ils se sont engagés, c’est comme lorsqu’on a un enfant biologique qui né avec
des difficultés, on l’assume et on l’aime jusqu’au bout, quoi qu’il arrive. »
Que deviennent ces enfants rejetés ?
Lorsque l’adoption plénière a été reconnue, l’enfant reste à jamais lié
juridiquement à ses parents. Il est placé par les services sociaux, mais il ne
sera plus jamais adoptable plénièrement. Lorsque qu’il est étranger et que son
pays d’origine a prononcé un jugement, son pays n’en veut plus. Et s’il n’est
pas encore enregistré à l’état civil français, il se retrouve un peu apatride.
Cela arrive particulièrement lors d’adoptions individuelles. Pour éviter cela,
des préparations psychologiques à la parentalité adoptive et un suivi des
familles sont progressivement mis en place par les organismes d’adoption. « Avec
la tendance actuelle de l’adoption internationale qui propose des enfants de
plus en plus grands, issus de situations complexes, cela devient vital. Sinon
les échecs se multiplieront ! Une famille soutenue et avertie réagit pour ne pas
arriver à des situations extrêmes », atteste Geneviève André Trevennec. Mais
c’est encore insuffisant et de nombreux signes d’alarmes passent inaperçus.
Pourtant, un échec de l’adoption n’arrive jamais du jour au lendemain. Tant de
vies brisées dans les premières années d’existence ne peuvent laisser
indifférent…
« Plus de 30 % des agréments accordés devraient être refusés »
Le Dr. Pierre Lévy-Soussan est pédopsychiatre, médecin directeur Consultation
filiations à Paris.
France-Soir. Qu’est-ce qu’un véritable échec de l’adoption ?
Pierre Lévy-Soussan. Les plus graves sont ceux qui se traduisent par une
maltraitance, avec abandon et remise de l’enfant à l’ASE (Aide sociale à
l’enfance). Ils vont bien au-delà des 2 % annoncés. Puis il y a les équivalents
d’échecs lorsque la situation a dégénéré, à tel point que les parents ou les
enfants n’éprouvent plus rien ensemble sauf l’indifférence ou la haine. Les
professionnels évaluent globalement ces échecs à 10 ou 15 %. Et c’est énorme…
F.-S. Que faudrait-il faire pour éviter de tels drames ?
P. L.-S. Etre plus sélectif sur les agréments et arrêter l’amateurisme
institutionnalisé en matière d’adoption. Un dossier rejeté par la commission
peut ensuite être sauvé par un président de conseil général ou un juge.
Amateurisme ! N’importe qui peut donc obtenir un agrément. Le taux de refus
national est de 10 %, avec 70 % des départements entre 0 et 10 % ! Plus de 30 %
devraient être refusés car les régions qui travaillent le mieux ont un taux de
refus entre 30 et 40 %. Aucun politique ne veut remettre en question la loi et
les enfants en font les frais !
F.-S. Comment agir concrètement ?
P. L.-S. En assumant une sélection efficiente des candidats, en faisant un
travail d’appariement des familles : tel enfant pour tel parent, car n’importe
quel enfant ne peut pas aller avec n’importe quel parent. Il faut arrêter de
s’en remettre au hasard de l’arrivée des dossiers comme le fait l’AFA.
F.-S. Fait-t-on un dossier trop rose de l’adoption par rapport à sa réalité ?
P. L.-S. Bien sûr, et la peopolisation y contribue, l’adoption a une image de
conte merveilleux. Les réalités et les difficultés sont mises à l’écart et cela
n’aide pas les futurs parents adoptifs qui se retrouvent souvent dépassés par
les obstacles qu’ils rencontrent.
F.-S. Une histoire comme celle du petit garçon russe aurait-elle pu arriver chez
nous ?
P. L.-S. Non seulement ça aurait pu, mais cela arrive en France. Des enfants qui
sont renvoyés avec leur valise à l’ASE cela n’a malheureusement rien
d’exceptionnel…
Un acte grave que la justice sanctionne
Le 29 mars 2010, le tribunal correctionnel de Nantes a condamné des parents
adoptifs à neuf mois de prison avec sursis pour avoir abandonné en 2004 leurs
deux enfants éthiopiens. Adoptés quatre ans auparavant, ils ont été remis à
l’ASE quelque temps après la naissance de l’enfant biologique du couple mis en
cause. Ils étaient « violents et difficiles », ont expliqué les parents adoptifs
qui payaient 400 euros par mois les services sociaux pour leur garde, mais
n’exerçaient plus leur droit de visite. Deuxième histoire : celle d’un couple
qui avait adopté un premier enfant chinois puis un deuxième, qui vers 3 ans a
manifesté une pathologie médicale. Quand les parents ont entendu le diagnostic,
ils ont laissé l’enfant à l’hôpital et sont allés déclarer l’abandon à l’ASE.
Bien évidemment, cela a déstabilisé l’aînée qui a pensé que si elle tombait
malade, ses parents l’abandonneraient. Le deuxième enfant a été immédiatement
placé dans une famille d’accueil remarquable, qui l’a accompagné dans ses
traitements et l’a ensuite adopté. C’est une histoire malheureuse qui ne se
termine pas trop mal….
Troisième cas : celui de cet enfant né dans un pays de l’Est. Il s’était bien
adapté, mais la famille en a fait sa propriété, en l’isolant totalement du
monde. En dehors de l’école, il ne voyait personne d’autres que ses deux
parents. Un intervenant éducatif chargé de le suivre a fait un signalement
judiciaire après constat des faits, parce que les parents refusaient de se faire
aider. Résultat, l’enfant a été mis en placement provisoire.
Enfin, plus récemment, une mère est allée chercher une enfant à Haïti après le
séisme du 12 janvier, mais ne pouvant assumer cette adoption l’a rendue aux
services sociaux le mois dernier. La petite fille est aujourd’hui à la DDASS de
La Réunion, abandonnée après moins de trois mois passés dans une nouvelle
famille…